La gynécologie, une médecine pour les femmes ?

Visuel : Le gynécologie, une médecine pour les femmes ?

La gynécologie, étymologiquement l’« étude des femmes », est couramment présentée comme la médecine des femmes. La grande majorité des femmes ont déjà consulté un.e gynécologue, avec un premier rendez-vous souvent dès l’adolescence à l’occasion des premières règles ou des premiers rapports sexuels. Or, en l’absence de symptômes ou de plainte, rien ne justifie un tel examen à l’adolescence. La gynécologie serait donc une médecine des femmes ? Pourtant, elle ne prend en compte que très peu de nos spécificités et ne se concentre que sur le suivi de nos fonctions reproductives : capacité physiologique à enfanter, contraception, grossesse et accouchement, avortement… La gynécologie telle qu’elle est pratiquée et enseignée actuellement n’est pas centrée sur les besoins des femmes comme elle devrait l’être, mais sur l’objectif que les femmes fassent des bébés en bonne santé.

 

Qui pratique la gynécologie ?

En France, certains actes médicaux sont réservés aux médecins gynécologues et aux médecins généralistes ayant suivi une formation spécifique comme le suivi des grossesses pathologiques ou « à risques » et la pratique des IVG instrumentales. Mais la gynécologie est aussi pratiquée par d’autres professionnel.le.s de santé : les sage-femmes peuvent réaliser des frottis, diagnostiquer des mycoses, prescrire une contraception et assurer la pose et le retrait du dispositif contraceptif si nécessaire, réaliser le suivi d’une grossesse… En bref, tout ce dont nous avons besoin pour un suivi gynécologique ordinaire, en l’absence de pathologie. Les sage-femmes peuvent également réaliser les IVG mais uniquement médicamenteuses. [1]

Les sage-femmes sont réputé.e.s être plus à l’écoute des femmes que les gynécologues, pourtant il est dangereux de généraliser et chaque professionnel.le est différent.e. La profession semble s’intéresser davantage aux critiques et propositions d’amélioration des pratiques formulées par les soignées, en témoignent entre autres les résultats de l’étude réalisée par Osez le féminisme !  : sur 318 professionnel.le.s de santé ayant répondu au questionnaire, 105 sont sage-femmes ou étudiant.e.s sage-femmes, soit 33 % (en comparaison, les gynécologues ne sont que 6 à y avoir répondu… soit moins de 2%). Pour autant, les reproches adressés aux gynécologues les concernent aussi, ainsi que les généralistes qui pratiquent la gynécologie.

 

Une histoire teintée de misogynie et de racisme

Ces dernières années, les témoignages concernant les violences « gynécologiques et obstétricales » sont nombreux et ont permis de mettre en lumière les violences commises par les professionnel.le.s de santé contre les femmes. [2] Manque d’écoute, non-prise en compte de la douleur, mépris, humiliations, violences sexuelles… Ces violences ne sont pas pour autant spécifiques à la gynécologie et se retrouvent également dans les autres spécialités médicales. Misogynes, et également racistes, lesbophobes ou validistes, elles sont présentes depuis le début de l’histoire de la médecine et de la gynécologie modernes. Le féminicide des « sorcières » dans l’Europe médiévale, et l’invention du spéculum aux Etats-Unis au XIXe siècle constituent deux exemples intéressants :

  • Le féminicide des sorcières, c’est-à-dire le meurtre de dizaines de milliers de femmes, souvent brûlées vives, noyées ou torturées par divers moyens par des hommes a débuté à la fin du Moyen-Âge dans un mouvement de construction du monopole des hommes sur les professions et les savoirs, y compris les connaissances médicales. L’exercice de la médecine générale était déjà réservé aux diplômés des universités (donc pas aux femmes, et seulement à une petite élite des hommes puisque très peu accédaient à l’université) mais des sages-femmes ou guérisseuses pratiquaient quand même des soins, notamment à d’autres femmes. Elles assistaient par exemple les accouchements (ce que les hommes dédaignaient faire), pratiquaient des avortements ou donnaient des moyens de contraception. Elles pratiquaient également une médecine du quotidien, basée sur l’expérience et sur la transmission de savoirs de femme à femme contrairement à la médecine officielle. Ces femmes ont été chassées et tuées pour permettre l’appropriation par les hommes de la médecine, mais aussi le développement d’une médecine aux principes différents, qui priorise l’innovation technique au détriment de la relation de soin. [3, 4]
  • Le spéculum (outil en métal ou en plastique utilisé par les professionnel.le.s de santé pour écarter les parois du vagin) a été inventé par James Marion Sims. À l’origine, Sims « soignait » des femmes noires esclaves à la demande des esclavagistes, principalement pour leur permettre de continuer de les contraindre à travailler et à se reproduire. Il a torturé ces femmes en les opérant sans leur accord et sans anesthésie pour développer différents outils et techniques qu’il a ensuite utilisées pour soigner des femmes blanches (qu’il prenait la peine d’anesthésier, elles). Il est responsable de l’ouverture du premier « Woman’s Hospital » à New York… qui lui a permis de poursuivre ses « expériences », viols et meurtres. Considéré comme le « père » de la gynécologie, une statue à son effigie était encore dans Central Park jusqu’à récemment (elle a été déboulonnée en avril 2018 grâce à la mobilisation féministe… et sera déplacée dans un lieu moins visible). [5]

La médecine, et la gynécologie en particulier, portent donc dans leur histoire un mépris des femmes et l’idée que le consentement et la prise en charge de la douleur seraient optionnelles. Ces conceptions ont bien sûr évolué depuis, mais restent présentes dans les pratiques.

 

Et aujourd’hui, utérus sur pattes ou personnes à part entière ?

Aujourd’hui encore, les femmes sont maltraitées – quand les professionnel.le.s commettent des violences allant du mépris, des remarques culpabilisantes au viol – et mal-traitées – quand il faut en moyenne 5 ans aux femmes atteintes d’endométriose pour être diagnostiquées correctement, [6] quand les douleurs sont « dans la tête », quand il faut faire des recherches en amont et choisir soigneusement la.le professionnel.le pour espérer avoir accès à la contraception que l’on souhaite…

 

En fait, la gynécologie considère les femmes plus comme des corps pouvant produire des enfants que comme des personnes :

 

L’accès à la contraception à partir de 1967 est une victoire féministe importante pour permettre aux femmes de disposer d’elles-mêmes, en 2018 c’est devenu normal pour une adolescente ou une femme de prendre une contraception. Pourtant, les femmes qui en ont besoin ne sont toujours pas libres de choisir leur méthode de contraception ni même d’avoir accès aux informations nécessaires pour faire ce choix. La pilule est proposée et prescrite d’office, et il est difficile d’être entendue quand on parle d’éventuels risques pour la santé ou d’effets secondaires. Nous sommes toujours soupçonnées d’exagérer nos symptômes. Il faut souvent batailler pour obtenir un autre moyen de contraception, surtout pour les femmes nullipares (n’ayant jamais accouché). Si on a le malheur de trouver contraignante la prise d’un comprimé  tous les jours à heures fixes, sous peine de risquer une grossesse, on nous fait parfois comprendre qu’on en demande trop. N’avons-nous pas le droit, pourtant, de choisir la méthode qui nous convient le mieux ? Du coup, les femmes se renseignent elles-mêmes pour l’implant, le DIU (Dispositif intra-utérin hormonal ou au cuivre, souvent appelé stérilet), … et arrivent avec leur argumentaire chez la.le professionnel.le pour obtenir son accord, quitte à devoir négocier, insister. Des listes circulent entre amies et sur internet pour recenser les professionnel.le.s acceptant de poser des DIU à des nullipares, ou de pratiquer des ligatures des trompes à des femmes jeunes, avec ou sans enfants.

De plus, la contraception est acceptée… en attendant d’avoir des enfants, et après les avoir eus. Les femmes qui ne souhaitent pas d’enfants sont toujours stigmatisées, leur décision n’est pas prise au sérieux, traitées avec condescendance : « vous verrez, vous changerez d’avis ! ». Après tout, les femmes sont des girouettes et ne savent pas ce qu’elles veulent, c’est bien connu n’est-ce pas ? Cet exemple montre l’impact important des stéréotypes sexistes dans le milieu de la santé. À partir de la vingtaine, la question d’avoir des enfants devient un passage obligé des rendez-vous médicaux y compris généralistes : « Vous faites du sport ? Non parce que là ça va, vous êtes mince, mais quand vous aurez eu vos enfants ça sera pas la même histoire ! » ou encore « On n’a pas besoin de s’inquiéter de ça tant que vous n’avez pas d’enfants ». Est-il possible d’être soignée comme une personne pleine et entière et pas juste comme une productrice d’enfants en puissance ?!

Ces considérations sur la contraception ne doivent pas faire oublier que toutes les femmes n’en ont pas besoin : c’est le cas des lesbiennes par exemple, qui sont souvent stigmatisées par les professionnel.le.s de santé en raison de leur sexualité. Certaines contraceptions peuvent aussi être prescrites sans rapport avec la sexualité, pour soulager de l’endométriose ou de l’acné.

 

Autre victoire féministe, l’accès à l’avortement est lui aussi un droit fondamental. Enfin, c’est ce qui est inscrit dans la loi, parce que dans les faits ça n’est pas si simple que ça : l’avortement reste un droit à défendre, constamment menacé notamment par la fermeture de centres IVG (plus de 130 ont été fermés entre 2001 et 2011), faute de moyens financiers ou à cause de médecins qui exercent leur « clause de conscience » pour ne pas réaliser d’IVG. [7] Parce que oui, l’IVG est le seul acte médical à bénéficier d’une double clause de conscience : il y a celle qui s’applique à tous les actes médicaux, et celle qui est spécifique à l’IVG, lui donnant l’image d’un acte médical à part, différent des autres, moins légitime. Cette double-clause de conscience entrave le droit des femmes à bénéficier de soins égaux sur tout le territoire. Les femmes qui ont recours à l’avortement (c’est-à-dire ⅓ des femmes au cours de leur vie) [8] sont culpabilisées et maltraitées pendant la procédure comme si les professionnel.le.s voulaient leur faire payer… quoi au juste ? D’exercer un droit ? Dans ce contexte, la suppression de la double-clause de conscience, la possibilité pour les sage-femmes de pratiquer les IVG instrumentales, l’allongement du délai légal à 22 semaines, ainsi qu’une meilleure formation des professionnel.le.s accompagnée de davantage de respect pour les femmes amélioreraient les conditions d’accès à l’IVG.

 

Si la gynécologie pousse les femmes à avoir des enfants, les femmes qui choisissent d’en avoir ne sont pas mieux traitées que les autres. En France, le suivi médical tout au long de la grossesse est particulièrement invasif avec de nombreux examens dont certains impliquent d’être pénétrée comme les échographies par sonde ou les touchers vaginaux… et ne sont pas toujours médicalement justifiés. En cas de problème pendant la grossesse, les professionnel.le.s de santé se montrent parfois dénué.e.s de toute empathie, allant jusqu’à dire à des femmes ayant subi une fausse couche « après tout, ce n’était qu’un amas de cellules… ». Lors de l’accouchement, les femmes ne sont souvent pas écoutées, les demandes exprimées pendant la grossesse ou sur le moment ne sont pas respectées, leur accord n’est pas demandé avant de réaliser différents actes [9] : certain.e.s professionnel.le.s de santé font par exemple pression sur les femmes pour déclencher leur accouchement, ou pratiquent des épisiotomies sans l’accord de la soignée, et sans nécessité vitale… Certaines femmes témoignent également d’expressions abdominales, de césariennes à vif, de sutures d’épisiotomies trop serrées ou du rajout d’un « point du mari » pour « resserrer » le vagin pour le plaisir sexuel des hommes. Ces pratiques qui ressemblent davantage à des actes de barbarie que de soin constituent des mutilations et des violences sexuelles. Elles sont évidemment traumatisantes pour les femmes qui les subissent et donnent le sentiment d’être dépossédées de soi et de n’être plus qu’un objet contenant un bébé, et pas une personne. Les résistances des femmes se heurtent à du mépris, du chantage au bien-être de l’enfant, de l’hostilité de la part des professionnel.le.s, qui profitent de la situation particulièrement vulnérabilisante pour elles.

Alors bien sûr certains accouchements se passent bien, avec des professionnel.le.s de santé à l’écoute et respectueuses.x et c’est pareil pour le suivi gynécologique et les IVG. Et heureusement ! Mais pour un accouchement sans violence, combien d’accouchements violents ? Nous voulons que toutes les femmes soient écoutées et respectées, à tout moment de leur parcours de soins, et pas juste celles qui auraient eu de la chance, ou les moyens de sélectionner le lieu de leur accouchement et les professionnel.le.s présent.e.s…

 

Le coït et la reproduction sont tellement centraux dans cette médecine supposée être centrée sur les femmes que comme dans le reste de la société, la seule sexualité envisagée est une sexualité hétérosexuelle dans laquelle le coït (pénétration vaginale par un pénis) est un passage obligé et même l’aboutissement. Une sexualité centrée davantage sur le plaisir masculin que sur le plaisir féminin : le clitoris, organe du plaisir féminin n’a pas besoin de coït pour être stimulé et les femmes n’ont pas besoin d’être pénétrées pour jouir. Cela représente même plusieurs risques pour nous : de grossesse bien sûr donc des risques pour la santé mais aussi pour la situation sociale et professionnelle, des risques d’IST… Cette réalité est largement ignorée par la gynécologie, comme elle l’est dans l’ensemble de la société : l’éducation à la sexualité à l’école par exemple est très insuffisante et les filles n’y ont accès qu’à des informations centrées sur… le coït et la reproduction. Lutter contre les violences sexuelles en donnant aux femmes les informations nécessaires à la connaissance de leurs corps, indispensable pour pouvoir construire une sexualité libre, pour pouvoir penser à soi et pour privilégier ses propres intérêts, ça pourrait être un objectif de la gynécologie… Chez la.le gynécologue, les lesbiennes et toutes les femmes qui vivent une sexualité sans coït s’entendent dire de drôles de choses… « Il n’y a que le vrai sexe qui m’intéresse ! » ou encore « Vous ne voulez pas de contraception ? Vous voulez un enfant ? Non ? Mais alors, c’est pas prudent, parfois ça arrive sans s’y attendre vous savez… ». Les professionnel.le.s de santé manquent de connaissances concernant le suivi gynécologique des lesbiennes, notamment concernant les risques de transmission d’infections sexuellement transmissibles (IST). Résultat de cette lesbophobie, les lesbiennes consultent moins en gynécologie, sont moins bien suivies, moins bien dépistées et développent davantage d’IST et de cancers gynécologiques que les hétérosexuelles. [10, 11]

Le suivi gynécologique des femmes ménopausées lui aussi est révoltant, comme si nous cessions d’être intéressantes quand nous ne pouvons plus avoir d’enfants. Nous sommes encouragées à faire les dépistages des différents cancers gynécologiques mais les effets de la ménopause sont mal pris en charge : 17 % des femmes ménopausées sont sous traitement hormonal substitutif (THS), mais il est contre-indiqué pour un certain nombre de femmes (antécédents de cancers, fibromes, pathologies cardiaques …) et on peut aussi souhaiter ne pas consommer d’hormones. [12] Que reste-t-il d’autre pour soulager les symptômes des femmes qui en ont besoin ? Pas grand chose…

 

L’examen gynécologique en lui-même mérite d’être questionné. Actuellement considéré comme automatique par la plupart des professionnel.le.s, l’introduction de doigts et/ou d’objets dans le vagin d’une soignée ne devrait jamais être automatique, encore moins obligatoire. Par définition, la soignée ne désire pas cette pénétration. Il doit donc être réduit aux situations dans lequel il est vraiment nécessaire, si la soignée décrit des symptômes d’infection par exemple, mais pas pour prescrire une pilule. Dans tous les cas, il ne doit pas être imposé : la.le professionnel.le peut le proposer à la soignée en lui expliquant pourquoi il lui paraît nécessaire, et échanger avec elle. Mais rien ne justifie la menace ou le recours au chantage. Médecin ou pas, toute pénétration sexuelle commise par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. [13] Dans l’enquête réalisée par Osez le féminisme !, plus d’une centaine femmes ont témoigné d’examens gynécologiques ou d’échographies intra-vaginales qu’elles ont vécu comme des viols, auxquels elles ont été contraintes ou qui ont été effectués par surprise. Des solutions alternatives pourraient être développées comme l’auto-prélèvement pour certains examens, ou encore dans le cas des échographies l’introduction et le retrait de la sonde par la soignée, pendant ce temps la ou le soignant.e se prépare avant de demander l’autorisation de pratiquer l’examen. Quand il est nécessaire et avec l’accord de la soignée, il peut être réalisé mais avec douceur et en lubrifiant le spéculum – ça paraît normal mais non, ce n’est pas souvent le cas actuellement…, sans engueuler la soignée si elle bouge parce qu’elle a mal. Nous ne faisons pas semblant d’avoir mal, et non, ce n’est pas normal d’avoir mal pendant un examen gynécologique ! Ici aussi, il est possible de développer d’autres pratiques : ne pas demander à la soignée de se déshabiller entièrement par exemple, et ne pas la contraindre à se mettre dans une position humiliante et très vulnérabilisante sur le dos, pieds dans les étriers qui nous empêche de refermer les cuisses si nous le souhaitons. D’autres positions sont possibles : « à l’anglaise » allongée sur le côté, ou assise, les pieds éventuellement légèrement surélevés. [14] Ces positions sont peut-être moins confortables pour la.le professionnel.le, mais justement le confort de la soignée est supposé être prioritaire par rapport à celui du.de la professionnel.le… D’ailleurs en gynécologie cette question du confort est particulièrement importante : elle se retrouve quand les femmes sont contraintes à rester sur le dos sans bouger pour accoucher, dans une position inconfortable et contre-productive pour elles mais tellement plus pratique pour les soignant.e.s, ou encore quand des accouchements sont déclenchés le vendredi pour permettre au gynécologue de partir en week-end…

 

Pour une gynécologie davantage centrée sur les intérêts des filles et des femmes, nous voulons :

La reconnaissance du problème par les professionnel.le de santé…

… Reconnaissance qui est encore loin d’être atteinte, vu le mépris actuellement renvoyé aux femmes qui ont dénoncé des violences et aux associations féministes, accusées par certain.e.s gynécologues (profession la plus visée par les critiques, et qui ne semble pas prête à remettre en cause ses pratiques) d’affabuler, d’exagérer, de vouloir dégrader une profession qui ne le mérite pas. Discréditer les revendications des femmes avec ces arguments, c’est un mécanisme anti-féministe aussi vieux que le patriarcat… Nous, nous n’exagérons rien, et oui, nous avons le droit d’exiger des conditions de soins dignes pour nous toutes ! Nous avons le droit de demander aux professionnel.le.s de santé de s’interroger sur leurs pratiques pour les faire évoluer, de dénoncer les agresseurs parmi eux et de ne plus les laisser agir impunément… de croire les femmes, tout simplement.

Évidemment tou.te.s les gynécologues ne réagissent pas si violemment. En attendant, c’est le cas de représentant.e.s de la profession comme Israël Nisand, Président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) ou encore Elisabeth Paganelli, Secrétaire générale du Syndicat des gynécologues et obstétriciens de France (SYNGOF) qui entretiennent volontairement une confusion entre examen gynécologique et viol et n’hésitent pas à accuser les victimes d’avoir été « séduites » par leur gynécologue… D’autres s’offusquent d’être critiqués alors qu’ils exercent un métier difficile avec des horaires parfois décalés : « oui mais moi souvent je me lève en pleine nuit pour accoucher une femme et après elles osent se plaindre ! »… Imaginerait-on un.e chirurgien.ne se plaindre d’un accidenté de la route qui l’aurait forcé à se lever la nuit ? D’autant plus que la plupart du temps quand la.le gynécologue arrive dans la salle d’accouchement, il y a déjà des infirmièr.e.s et des sage-femmes qui elles et eux sont là depuis un bout de temps et travaillent régulièrement de nuit… Et surtout, si les femmes sont traumatisées par la manière dont leur accouchement s’est déroulé, parce qu’elle n’ont pas été écoutées, qu’on leur a fait mal, qu’elles se sont senties méprisées et violées, peu importe l’horaire de l’accouchement, elles n’en sont pas responsables. Par contre les professionnel.le.s de santé sont responsables des violences qu’elles.ils commettent et s’être levé.e en pleine nuit ou n’importe quel autre prétexte du genre n’est pas une excuse.

D’autres soignant.e.s, féministes, se battent courageusement pour faire changer les choses en interne, créer des espaces de dialogue soignées et soignant.e.s, dénoncer les pratiques violentes comme les membres de l’association Pour une M.E.U.F. Ce combat ne peut se mener qu’en articulation avec l’ensemble du mouvement féministe et avec les soignées : la santé n’appartient pas qu’aux soignant.e.s contrairement à ce que certain.e.s veulent nous faire croire, nous avons toutes notre mot à dire !

La fin de l’impunité des professionnels agresseurs :

On ne va pas rêver, face à autant de mauvaise foi, le changement ne viendra pas des professionnel.le.s de santé et des organisations les représentant. Les soignant.e.s qui commettent des violences (et qui savent très bien ce qu’ils font) notamment n’ont aucun intérêt à un quelconque changement. Nous voulons qu’ils soient condamnés, que les femmes soient crues quand elles dénoncent des violences, que l’Ordre des médecins et que la Justice prennent les mesures nécessaires pour qu’il ne soit plus possible de commettre de violences sous couvert de soins.

Être prises en compte et écoutées, pouvoir être actrices de notre prise en soin. Ça veut dire :

  • Être accompagnée et recevoir des informations sur nous dont nous manquons par ailleurs, sur le fonctionnement de nos corps (sur le clitoris ou les règles par exemple), sur des sexualités libres et désirées, qui aillent contre la contrainte au coït. Plutôt que de renforcer cette contrainte, nous voulons que toutes les femmes sachent que l’examen gynécologique n’est ni automatique à chaque consultation, ni obligatoire. Comment choisir, quand on n’est même pas au courant de ses droits ?
  • Ne pas avoir à fouiller sur internet, à anticiper la consultation de peur que la.le professionnel.le refuse une contraception sans raison médicale ou ne connaisse pas une pathologie : nous voulons des soignant.e.s formé.e.s aux dernières recommandations et qui ne pratiquent plus la gynécologie d’il y a 25 ans, la possibilité d’échanger pendant la consultation sans devoir nous conformer à un savoir descendant. Nous voulons des professionnel.le.s qui mettent leurs connaissances à notre service pour nous permettre de faire les meilleurs choix de santé pour nous-mêmes.
  • Le respect de nos points de vue et la possibilité de choisir : nous ne voulons plus d’examens par surprise ou contraints, nous voulons qu’on nous explique, avant de réaliser l’acte médical, à quoi il sert et que notre accord nous soit systématiquement demandé. En cas de refus, nous voulons que celui-ci soit respecté.
  • Une meilleure prise en compte des spécificités médicales des filles et des femmes, liées ou non à la reproduction, qui ne nous découpe pas en petits morceaux de corps.

 

En bref, nous voulons une médecine davantage centrée sur nous et sur nos intérêts, qui ne nous réduise pas à notre capacité de reproduction et qui nous considère comme des personnes, c’est à dire des êtres dignes de prendre des décisions pour elles-mêmes et d’être respectées. Une médecine qui place la dignité des filles et des femmes en premier, pas le confort des professionnel.le.s de santé.

 

Références

1             Contraception, frottis, IVG : les sages-femmes ne s’occupent pas que des accouchements, Sciences et Avenir, 2016
2            Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : reconnaître et mettre fin à des violences longtemps ignorées, 2018
3             Barbara Ehrenreich et Deirdre English, Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire des femmes soignantes, Cambourakis, 2015 (1ère publication en 1973)
4             Silvia Federici, Caliban et la Sorcière : femmes, corps et accumulation primitive, Entremonde, 2017 (1ère publication en 1998)
5             New York: La statue d’un médecin qui torturait des femmes esclaves a été déboulonnée, 20 minutes, 2018
6             EndoFrance, Qu’est-ce que l’endométriose ?
7             Emma Derome, Sarthe : plus d’IVG à l’hôpital de Bailleul, à la Flèche, depuis janvier, Francetvinfo, 2018
8            Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Repères statistiques, Catégorie « Interruption volontaire de grosses (IVG) »
9             Collectif Interassociatif Autour de la Naissance (CIANE), Episiotomie : état des lieux et vécu des femmes, Enquête sur les accouchements, 2013
10             Pasquier A, Richard S, Courteaut V, et al, Des expériences aux attentes de personnes lesbiennes en soins primaires : inégalités en santé, postures professionnelles et empowerment, Université Paul Sabatier, Toulouse 3, 2016
11             Tracy JK, Lydecker AD, Ireland L, Barriers to Cervical Cancer Screening Among Lesbians, Journal of Women’s Health, 2010
12             La ménopause, Caducée
13             Article 222-23 du Code Pénal
14             L’examen « à l’anglaise » – et autres mises au point gynécologiques, Le blog de Borée, 2011