« Il faut souffrir pour être belle ! »

Les injonctions de beauté sont dangereuses pour notre santé

Visuel : "Il faut souffrir pour être belle !" Les injonctions à la beauté sont dangereuses pour notre santé !

 

Miroir, mon beau miroir, suis-je suffisamment belle ?

 

Les représentations de la beauté des femmes dans l’univers des enfants

Enfants, nous jouons avec Barbie, poupée à la taille de guêpe, aux seins volumineux, aux fesses rebondies et musclées, à la longue chevelure blonde et lisse, au corps sans poils ni rides, aux pieds faits pour des talons de 10 cm… Et nous entendons de beaux contes promettant aux belles princesses de beaux princes, de beaux enfants, une vie “formidable” pendant que les laides, presque forcément méchantes, sont seules et aigries. Dans Cendrillon, ses belles-soeurs sont laides et méchantes tandis que Cendrillon est belle, douce et gentille. Ursula dans La Petite Sirène, la Reine de Coeur dans Alice au Pays des Merveilles, Madame Mims dans Merlin l’Enchanteur, la sorcière d’Hansel et Gretel… de nombreux contes destinés aux enfants associent les qualités morales à un idéal de beauté patriarcal fait de traits lisses et fins, de douceur et de passivité. Même la belle-mère de Blanche-Neige, qui est “la plus belle” après l’héroïne, finit le dessin animé avec un nez crochu, une verrue et un dos bossu. La laideur est associée à la méchanceté et à des émotions dévalorisées chez les filles et les femmes, comme la colère.

Très vite, nous sommes donc fortement encouragées à nous conformer du mieux que possible à des critères de beauté extrêmement contraignants, qui nous laissent toujours à côté de la cible : pas assez ça, trop ceci. A nous regarder comme un chantier imparfait, toujours en construction et qu’il ne faudrait surtout pas “laisser aller”. Nous comparer les unes aux autres. A être belles, peu importe le coût, peu importe que nous ayons mal, que nous nous sentions inconfortables.

 

La beauté à n’importe quel prix

Pour aider les femmes à être belles selon les standards masculins, martelés via la publicité, le cinéma, les magazines féminins, des millions d’images massivement retouchées… Les marques ont mille idées à nous vendre, à un prix qui semble ignorer que nous sommes encore payées 24% de moins que les hommes. [1] Les produits de beauté destinés aux femmes (c’est à dire avec un emballage rose) sont régulièrement plus chers que leurs équivalents pour les hommes. C’est la “taxe rose”.

On nous vend donc très cher crèmes de jouvence miracles, déodorants pour sentir bon la rose parce qu’il ne faudrait pas croire qu’abattre 70% des tâches ménagères nous fait transpirer ou nous fatigue, [2] teintures pour les cheveux pour ne pas voir que nous prenons de l’âge. On nous incite à porter des talons pour galber nos jambes, nos fesses, et s’assurer que l’on marche à une allure où l’on pourra nous rattraper, du vernis à ongles, maquillage, vêtements serrés voire gaines. On nous vend divers produits d’épilation, de rasage et les crèmes pour soulager les irritations qui en découlent… Et puis, si cela ne suffit pas, on nous propose aussi le bistouri : implants mammaires, opérations des lèvres génitales (labioplasties), du nez (rhinoplasties), liposuccions, liftings, injections de divers produits censés réduire les rides… En 2014, 17 millions de femmes dans le monde ont eu recours à la chirurgie dite esthétique (c’est à dire n’ayant pas vocation à résoudre une maladie autre que la souffrance mentale infligée par une société patriarcale), contre 3 millions d’hommes. [25]

 

Et la santé ?

Quelles sont les conséquences de tout ça sur notre santé ? Alors que le marketing parle de « prendre soin de soi » en se “faisant” belle, la réalité des injonctions à la beauté est bien plus souvent celle d’une précarisation économique et de souffrances physiques. 400.000 femmes dans le monde ont été victimes de PIP et de ses implants mammaires défectueux. [3] Les talons hauts peuvent causer des maux de dos et des déséquilibres musculaires des chevilles (en plus des accidents liés à la perte d’équilibre : chutes, entorse ou foulure des chevilles…). [4-6] Il y a 4 fois plus de femmes que d’hommes qui subissent des opérations du pied, liées pour beaucoup à l’usage de talons hauts.

Les cosmétiques (gels douche, crèmes, lotions démaquillantes, maquillage, …) renferment régulièrement des perturbateurs endocriniens. [7-9] Ces substances peuvent avoir des effets sur la fertilité, sur la thyroïde et d’autres organes en lien avec les hormones. La grossesse et la puberté sont d’ailleurs des moments assez critiques où il faudrait éviter d’y être exposée. [10]

L’épilation intégrale du pubis et de la vulve, de plus en plus fréquente notamment chez les jeunes femmes (en cause, la pornographie et ses nombreux impacts sur nos quotidiens) est responsable du développement de mycoses vaginales et rend plus vulnérables à la transmission d’IST (infections sexuellement transmissibles). Cela est dû aux plaies ou irritations provoquées par l’épilation elle-même, les poils agissant comme protecteurs et humidificateurs de cette zone. [11,12]

Les douches vaginales, recommandées par certain.e.s soit-disant pour « purifier » le vagin (qui maintiennent au passage l’idée qu’il serait “sale”), nuisent aussi gravement à la santé des femmes. Cette technique détruit la flore vaginale et prédispose les femmes à développer des vaginoses, ainsi que d’autres problèmes de santé qui incluent un risque accru de cancer du col utérin, ainsi que d’infections sexuellement transmissibles. [13]

Les vêtements trop serrés favorisent eux aussi un certain nombre de problèmes : irritations, mycoses vaginales, mauvaise circulation du sang ou encore infections urinaires. [14]

Il faut également noter que les produits utilisés par les femmes aux cheveux crépus pour les lisser, abîment les cheveux et certaines peuvent ensuite perdre une partie de leur chevelure. [15] Les femmes racisées sont également confrontées au “colorisme”, une conséquence de la colonisation et du racisme. Le colorisme, c’est le fait de valoriser les personnes qui ont la peau plus claire, au détriment de celles ayant la peau plus foncée. [16] Ainsi, l’industrie de la beauté n’a pas hésité à inonder les marchés partout dans le monde, y compris en France, de produits et crèmes “éclaircissantes” ou blanchissantes dont l’utilisation cause divers problèmes de santé comme des lésions de la peau et des problèmes du foie et des reins. [17] Mais malgré leur toxicité, le marché de ces produits éclaircissant est en plein essor et se chiffre en milliards.

Enfin, tous ces processus d’épilations des diverses parties du corps, maquillage, coiffure, prennent du temps. Les femmes mettraient 3 fois plus de temps que les hommes à se préparer le matin. [18] Cela peut avoir un impact sur le temps passé à dormir, à partager des moments avec d’autres personnes, moments souvent indispensables au bien-être.

 

L’alimentation

N’oublions pas de parler d’alimentation, puisque nous sommes incitées à être maigres vu qu’il paraît qu’un bourrelet, ce serait laid (chez les femmes en tout cas, les hommes étant loin d’être soumis aux mêmes critères). Régime à la rentrée pour rattraper les excès des vacances, régime pour préparer les fêtes de fin d’année, régime pour rattraper les excès des fêtes et galettes des rois, régime pour préparer l’été… La boucle est bouclée, régime toute l’année ! Et le but n’est que de réduire votre tour de tailles et tour de fesses. L’équilibre de votre régime alimentaire ? L’énergie dont vous avez besoin pour la journée ? Votre moral ? 30% de femmes en poids normal ont déjà fait un régime amincissant, or les régimes peuvent causer des carences alimentaires, troubles hormonaux, troubles alimentaires, problèmes osseux. [19] Le régime Dukan, connu pour son effet spectaculaire, est réputé entraîner des carences alimentaires. Et n’oublions pas que le Mediator était, notamment et à tort, prescrit… Pour maigrir ! [20]

Cette injonction très forte pèse sur toutes les femmes : minces toujours sous la menace de grossir, grosses, obèses punies de l’être. Les femmes en surpoids sont régulièrement harcelées par les professionnel.le.s de santé au sujet de leur poids, et moins bien soignées car certain.e.s soignant.e.s pensent que le surpoids est l’origine de tous les problèmes, manquant ainsi parfois d’autres causes. Ce qui nous est présenté comme la silhouette idéale est à la limite de l’impossible. La fameuse taille 36 n’est la taille que de 5% de la population féminine (et parmi ces 5%, un certain nombre sont probablement de petite taille ou adolescentes), pourtant elle est davantage fabriquée par les producteurs de vêtements que la taille 42, beaucoup plus fréquente. Les mannequins, pour atteindre les normes exigées par leurs employeurs, sont contraintes à des régimes démentiels, se font vomir, et ont en conséquence une santé très fragile. [21]

Cette constante quête de la minceur mène à avoir une mauvaise image de son corps, et de soi. Comme notre société nous fait croire que notre poids est une question de volonté, si nous n’avons pas la silhouette désirée nous avons l’impression que c’est un échec personnel. Plutôt que d’être encouragées à nous aimer comme nous sommes, nous sommes poussées à nous faire du mal pour tenter de ressembler à des mannequins dénutries, dont le teint blafard et les os saillants sont gommés grâce à Photoshop et au maquillage. Certaines développent des troubles du comportement alimentaire, bien plus fréquents chez les femmes que chez les hommes, et quand c’est le cas, ce n’est plus seulement l’estime de soi qui est atteinte, mais plus généralement l’état de santé global. [22–24]

 

La santé d’abord !

Miroir, mon beau miroir, les magazines et la pub nous font croire que ces pratiques dites “de beauté” sont nécessaires pour être regardées, aimées, pour notre réussite personnelle et professionnelle. Cette industrie misogyne diffuse une propagande qui nuit gravement à notre estime de soi. Et moins nous avons confiance en nous, plus nous sommes prêtes à investir de notre temps, de notre argent… et de notre santé. Nous sommes contraintes à faire de la beauté une priorité dans nos quotidiens, peu importe ses conséquences sur notre santé. Cela nous paraît peut-être normal, mais ça ne l’est pas ! Notre santé est importante. Notre intérêt est qu’elle soit une priorité dans nos vies, bien avant la beauté.

 

“Les talons hauts peuvent nuire à votre dos, à consommer avec modération”

 

Pour aller plus loin :

Marine S., Souffrir pour être belle, Dans Mon Tiroir, 2018

Mona Chollet, Beauté Fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Zones, 2012

Stéphanie Richard, Gwenaëlle Doumont, J’aime PAS être belle !, Talents Hauts Editions, 2016

Laura Nsafou, Comme un million de papillons noirs, Cambourakis, 2018

 

Références

1             Durand A-A, Les inégalités femmes-hommes en 12 chiffres et 6 graphiques, Le Monde, 2017
2             Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz, Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ?, Économie et Statistique, Insee, 2015
3             Prothèses mammaires PIP : chronologie d’un scandale, Le Monde, 2012
4             Falola J-M, Effet du port de chaussures à talons hauts sur la posture du squelette axial, Revue CAMES Science de la Santé, 2014
5             Barnish MS, Barnish J, High-heeled shoes and musculoskeletal injuries: a narrative systematic review, BMJ Open, 2016
6             Brun G, Conséquences orthopédiques du port de chaussures à talons hauts, 2016
7             Nicolopoulou-Stamati P, Hens L, Sasco AJ, Cosmetics as endocrine disruptors: are they a health risk ?, Reviews in Endocrine and Metabolic Disorders, 2015
8             Gomez E, Fenet H, Pillon A, et al, Substances entrant dans la formulation de cosmétiques et perturbations endocrines, Environ Risques Santé, 2006
9             Cosmétiques et perturbateurs endocriniens – 66 produits analysés, Que Choisir, 2013
10           Perturbateurs endocriniens, un enjeu d’envergure pour la recherche, La Science pour la Santé, Inserm, 2018
11           DeMaria AL, Flores M, Hirth JM, et al, Complications related to pubic hair removal, American Journal of Obstetrics and Gynecology, 2014
12           Mesdames, attention aux dangers de l’épilation du maillot !, Franceinfo, 2018
13           Cottrell BH, An Updated Review of Evidence to Discourage Douching, MCN : The American Journal of Maternal/Child Nursing, 2010
14           13 vêtements mauvais pour la santé sans que vous le sachiez, Cosmopolitain
15           Cheveux crépus : victimes de la mode du « lisse à tout prix », Destination Santé, 2012
16          Tiphaine Guéret, Qu’est-ce que le colorisme et pourquoi c’est un problème ?, Glamour, 2018
17           Barry Ladizinski, Nisha Mistry, Roopal V. Kundu, Widespread Use of Toxic Skin Lightening Compounds: Medical and Psychosocial Aspects, Dermatologic Clinics, 2011
18           Bénédicte Le Coz, Les femmes devraient passer moins de temps à se préparer le matin, Slate, 2015
19           Évaluation des risques liés aux pratiques alimentaires d’amaigrissement, ANSES, 2010
20           Régime : certains médecins prescrivaient le Médiator pour mincir, Magicmaman, 2010
21           Lewak D, Ridley J, Inside the terrifying tactics models use to stay thinNew York Post, 2017
22           Malson H, Burns M, Critical Feminist Approaches to Eating Dis/Orders, Routledge, 2009
23           Smink FRE, van Hoeken D, Hoek HW, Epidemiology of Eating Disorders: Incidence, Prevalence and Mortality Rates, Current Psychiatry Reports, 2012
24           Mémoire Traumatique et Victimologie, Troubles du comportement alimentaire, 2017
25           Rapport de la société internationale de Chirurchie Esthétique et Plastique de 2014, cité dans : Margaux Collet, Raphaëlle Remy-Leleu, Beyonce est-elle féministe ?, First, 2018 (page 126)