Résultats de l’enquête sur la prise en charge médicale des filles et des femmes

Visuel : Résultats de l'enquête soignées

 

Mots les plus utilisés par les répondantes dans leurs témoignages : consentement, respect, écoute, violences, mal, grossesse, poids, douleur, choix, ...

Sexisme, paternalisme et violences dans le milieu médical

 

“Les médecins n’ont pas compris qu’aujourd’hui nous sommes acteurs.trices de notre santé et non plus des moutons qui vénèrent le Grand Savant. Nous avons été obligé.e.s de prendre certaines choses en main car ils nous abandonnent avec nos maux dès qu’ils se compliquent un tout petit peu. Ils n’ont plus le temps de rien, même pas de nous recevoir dans un délai raisonnable ni de prendre garde aux interactions médicamenteuses, à nos intolérances ou si le traitement pour tel organe ne va pas abîmer tel autre organe fragile. Donc traitement minimal et au revoir.”

 

“Si un homme s’était présenté chez le médecin avec 1/10 des douleurs que je ressens lors de mes règles, je suis convaincue qu’il aurait été hospitalisé immédiatement. Mais puisque « les filles sont des chochottes » et que souffrir le martyr pendant ses règles « c’est normal », on m’a renvoyée chez moi avec un doliprane des dizaines de fois. J’ai une vraie maladie, qui nécessite une vraie prise en charge, et ma souffrance n’a pas été écoutée en raison de mon sexe.”

 

Remarques sexistes, déni d’autonomie, objectification, violences morales, physiques et sexuelles,…

Les femmes et les filles font face au sexisme partout et tout le temps. Mais les actes et violences sexistes ne se limitent pas à la rue, au travail, ou à la maison. Ils ont aussi lieu à la table d’examen, au cabinet médical, à la table d’accouchement, et à l’hôpital.

 

Pour mieux comprendre le sexisme et toutes les violences qui touchent les femmes et les filles dans le cadre de leur prise en charge médicale, Osez le féminisme ! a conçu un questionnaire sur la prise en charge médicale des filles et des femmes. Ce questionnaire, mis en ligne de mai à juillet 2018, a collecté 2337 réponses de parent.e.s de filles et de femmes âgées de 1 à 80 ans, dont 2286 femmes âgées de 18 à 80 ans. Sur la base de volontariat, l’enquête s’intéressait au ressenti des soignées concernant les soins au cours de la vie ainsi que le sexisme ordinaire et les violences qu’elles ont pu subir dans le cadre de ces soins. Ses résultats, développés ci-dessous pour les femmes (2286 répondantes), permettent d’établir un diagnostic féministe de la santé en France.

 

Les médecins, ainsi que les autres professionnel.le.s de santé, ne sont pas à l’abri des stéréotypes sexistes existant dans la société. [1,2] Ils peuvent les perpétuer, ce qui influence les pratiques médicales, notamment le diagnostic de certaines maladies. En effet, le risque de sous-diagnostic pour certaines maladies est plus important chez les femmes que chez les hommes ; la douleur des femmes est minimisée, et des symptômes spécifiques à leur biologie sont méconnus. [3,4] Cela a également des conséquences sur le comportement des professionnel.le.s de santé vis à vis des filles et des femmes.

Dans notre enquête basée sur 2286 femmes adultes, environ 2 répondantes sur 3 (66%) affirment ne pas avoir été crues dans le cadre d’une visite chez un.e professionnel.le de santé, et plus de 70% déclarent avoir subi des reproches au moins une fois, et avoir été culpabilisées par un.e professionnel.le de santé.

 

Extraits de témoignages issus du questionnaire :

 

« On ne nous croit pas. On nous ballade chez d’autres spécialistes pour être débarrassé (6 mois de délai chez un spécialiste…) ou on nous envoie chez un psy… on n’est pas folles. Juste malades à cause d’un médicament. »

 

“Les professionnel.le.s de santé s’adressent souvent aux patients comme s’ils étaient inaptes à comprendre. Mais lorsque l’on démontre que l’on connaît son sujet (ex : malade chronique, je connais ma pathologie sur le bout des doigts) ou que l’on emploie des termes trop précis on est immédiatement étiqueté “hypocondriaque-qui-se-cherche-une-maladie-sur-internet”. Je passe mon temps à évaluer ce que je peux dire ou non, en quels termes, pour ne pas être étiquetée dans telle ou telle catégorie et continuer d’être écoutée sans surinterprétation.”

 

« En raison de mon sexe, plusieurs acteurs de la santé (hommes) ont pensé que mes problèmes de grosse fatigue et de fortes douleurs étaient l’expression d’une dépression alors que cela n’avait strictement rien à voir ! »

 

Graphiques : "avez-vous déjà été gênée par le comportement d'un.e professionnel.le de santé ?"

 

88% des femmes interrogées déclarent avoir été gênées au moins une fois par le comportement d’un.e professionnel.le de santé à leur égard et elles sont également 82% à avoir été mises mal à l’aise par un examen médical désagréable. 87% d’entre elles déclarent également avoir changé de professionnel.le de santé suite à des comportements inappropriés ou à un sentiment de malaise. Pour 36%, cela a donné lieu à une interruption des soins.

Le fait d’avoir été gênée par un comportement et/ou examen médical est aussi statistiquement lié à l’automédication même dans des analyses (dites multivariées) qui permettent de prendre en compte plusieurs autres facteurs généralement liés à l’accès au soin comme l’âge, le niveau d’éducation, le fait d’avoir une mutuelle, et la zone de résidence (urbain, rural,..). En effet, les femmes qui ont déclaré avoir déjà été gênées par un comportement ou un examen médical, se retrouvent être celles qui ont tendance à davantage se soigner seules.

 

Un autre problème auquel tou.te.s les soigné.e.s sont confronté.e.s mais qui concerne davantage les femmes est le paternalisme médical qui considère « qu’au nom de la mission du médecin, le consentement du malade n’est pas une donnée médicalement pertinente et ne doit pas, à cet égard, être considéré comme norme de référence de la décision ». [5] En plus d’être irrespectueux envers celles et ceux à « soigner », le fait de ne pas avoir confiance et de ne pas écouter les soigné.e.s n’est pas recommandé par les instances scientifiques, [6–8] et l’acte médical sans consentement préalable est sanctionné par la loi. [9] En effet, la Haute Autorité de Santé (HAS) préconise la “décision médicale partagée”, un modèle qui prend en compte le point de vue de la personne malade, éclairée et soutenue par les explications techniques, l’expérience et la bienveillance de la ou du médecin. [10]  D’ailleurs, des études ont montré que l’implication des soigné.e.s dans la décision médicale se traduit par une meilleure observance du traitement. [11]

 

« C’est toujours à moi de demander des informations ou précisions (sur les effets négatifs, sur les alternatives possibles, sur le nom exact des maux, etc…). Les jours où je n’ose pas demander on ne m’explique rien. »

 

Même si la majorité des répondantes se sentent capables de poser des questions à leurs médecins dans le cadre d’un acte médical, 91% d’entre elles sentent que leur opinion n’est pas toujours respectée, et plus de la moitié sentent qu’elles ne sont associées que rarement ou jamais aux décisions concernant les gestes ou les actes médicaux. Ainsi, seulement 15% des répondantes déclarent que leur consentement est demandé systématiquement avant chaque acte médical, et 61% se sont déjà vues imposer un ou des examens qu’elles trouvaient inutiles et/ou superflus.

Ces pourcentages élevés de la non prise en compte du ressenti des femmes, et l’absence de la demande du consentement pourraient être le résultat du croisement du paternalisme et du  sexisme. Rappelant que le patriarcat normalise l’idée que le corps des femmes est un objet que la société peut s’approprier, et la souffrance des femmes est régulièrement sous estimée et mal prise en compte.

 

“Comme je suis une femme on part du principe que je suis douillette et on ne me donne pas de traitement ou on ne me prescrit pas les examens nécessaires. Et comme je ne veux pas d’enfant, la foudre s’abat sur moi, car une femme qui ne veut pas d’enfant doit être envoyée au bûcher…”

 

« Mon ressenti a été pris « à la rigolade ». »

 

En plus de perpétuer certains stéréotypes sexistes ayant des conséquences sur la prise en charge des soignées, certains agresseurs profitent du pouvoir et des opportunités associés au statut de médecin afin de camoufler des agressions en gestes médicaux. D’autres violences verbales (insultes, remarques déplacées, jugements de valeur…) et non verbales (attitudes telles que du dédain, de l’ignorance, de l’indifférence) sont aussi au rendez-vous.

24% des femmes interrogées, soit près d’1 sur 4 déclare avoir subi au moins une fois des gestes ou des paroles inappropriés, c’est-à-dire à connotation sexuelle, dans le cadre d’une consultation ou visite médicale. Toujours dans ce cadre, 16% des femmes ont déclaré avoir été agressées sexuellement, et plus de 10% ont déclaré avoir subi des viols.

 

Il est possible que les violences commises par les médecins soient sous-déclarées et sous-estimées. En effet peu d’études portent sur ce sujet, et les femmes victimes hésitent à porter plainte, craignant que leur parole ne fassent pas le poids face à celle d’un médecin. En particulier, le conseil de l’Ordre des médecins, organisme de défense et de régulation de la profession médicale, ne joue pas son rôle dans la lutte contre les professionnels agresseurs. Le code de déontologie médicale sur lequel il s’appuie ne comporte pas d’article interdisant explicitement aux médecins les relations sexuelles avec les patient.e.s dont ils.elles assurent le suivi et en cas de poursuites, les médecins agresseurs s’appuient sur ce vide juridique pour échapper aux sanctions ordinales (pour signer la pétition demandant l’ajout d’un tel article dans le code Code de Déontologie Médicale, c’est ici) . En outre, même pour celles déposent une plainte ordinale  (probablement une minorité des victimes), les poursuites engagées souvent n’aboutissent pas à une condamnation à la hauteur de l’agression. Selon le rapport du HCE sur les violences et actes sexistes en gynécologie, moins d’un tiers des plaintes conduit à une radiation du professionnel de santé. Pour le reste, il s’agit d’avertissements, d’interdictions temporaires d’exercer (d’un mois à  trois ans), et pour 22% des cas il y a une absence totale de condamnation. [12] Il en va de même pour les plaintes au pénal ou au civil qui aboutissent rarement à une condamnation des agresseurs, même si, après de longs et douloureux parcours et un accompagnement des associations spécialisées, certaines victimes parviennent à obtenir des condamnations. [13,14]

 

« […] Un médecin généraliste chez qui j’allais pour une simple rhino-pharyngite, et qui s’est mis à “m’examiner » en me touchant les seins. Traumatisée (j’étais jeune à l’époque, environ 18 ans), je n’y suis jamais retournée. »

« Chez un ostéopathe, problème de genou, il me demandait de me déshabiller de plus en plus au fur des séances. Il me faisait des massages où il a commencé à toucher mes fesses, puis seins, puis frôler le sexe. Paroles à caractère sexuel récurrent “jolies fesses hummm”.

J’étais terrorisée et je n’ai pas osé arrêter les séances de suite, j’avais été envoyée par mon médecin traitant […] »

 

La sélection des répondantes dans notre enquête est basée sur le volontariat, ce qui a pu générer un échantillon non-représentatif de toutes les femmes ayant déjà été soignées en France. Les répondantes n’en restent pas moins des femmes comme les autres. À ce titre, les résultats de notre étude dressent un bilan alarmant de la prise en charge médicale des filles et des femmes et des conditions dans lesquelles cette prise en charge se déroule. Il est grand temps de féminister la médecine en prenant la mesure de problème et en y apportant des solutions !

C’est ce que la campagne d’Osez le féminisme !, A notre santée – Pour une santé féministe des filles et des femmes s’efforce de faire.

 

Un immense merci à tou.te.s les parent.e.s, et toutes les femmes qui ont pris le temps de répondre au questionnaire !

Pour accéder aux résultats de l’enquête à destination des soignant.e.s : cliquer ici

 

Références

1          Chapman EN, Kaatz A, Carnes M, Physicians and Implicit Bias: How Doctors May Unwittingly Perpetuate Health Care Disparities, Journal of General Internal Medicine, 2013
2          FitzGerald C, Hurst S, Implicit bias in healthcare professionals: a systematic review, BMC Med Ethics, 2017
3          Hamberg K, Gender Bias in Medicine, Womens Health, 2008
4          Risberg G, Johansson EE, Hamberg K, A theoretical model for analysing gender bias in medicine, International Journal of Equity in Health, 2009
5          Jaunait A, Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient, Raisons Politiques, 2003
6          Barry MJ, Edgman-Levitan S, Shared Decision Making — The Pinnacle of Patient-Centered Care, The New England Journal of Medicine, 2012
7          Oshima Lee E, Emanuel EJ, Shared Decision Making to Improve Care and Reduce Costs, The New England Journal of Medicine, 2013
8          Elwyn G, Frosch D, Thomson R, et al, Shared Decision Making: A Model for Clinical Practice. Journal of General Internal Medicine, 2012
9         Conseil National de l’Ordre des Médecins, Article 36 – Consentement du patient  (article R.4127-36 du Code de la santé publique)
10        Haute Autorité de Santé, Patient et professionnels de santé : décider ensemble, 2013
11        Barry MJ, Edgman-Levitan S, Shared Decision Making — The Pinnacle of Patient-Centered Care, The New England Journal of Medicine, 2012
12             Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical : reconnaître et mettre fin à des violences longtemps ignorées, 2018
13     Justice : le gynéco star jugé pour viols sur d’anciennes patientes, L’Obs, 4 février 2014
14     Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), Condamnation pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles et interdiction d’exercer la médecine d’un médecin dans la Manche, 2012