Le sexisme structure les rapports sociaux dans tous les milieux de notre société, il concerne toutes les classes sociales et tous les milieux. C’est aussi le cas dans le milieu médical où le machisme est souvent renforcé par le rapport de domination hiérarchique.
« [Concernant les propos ou comportements à connotation sexuelle en milieu médical] Il y en a en trop. C’est un mode de fonctionnement en lui-même, un moyen de communiquer. Tout ce que je peux dire pour l’illustrer, c’est que lors d’un stage en chirurgie, les quelques jours en trois mois où je n’ai eu aucune blague / remarque / allusions sexuelles, je me suis demandée si j’avais fait quelque chose de mal. »
Le questionnaire mis en ligne par Osez le féminisme ! sur le sexisme et les violences sexistes en milieu médical, et l’accompagnement par les professionnel.le.s de santé des victimes de violences masculines a permis de collecter 302 réponses d’étudiant.e.s et professionnel.le.s de santé âgé.e.s de 20 à 73 ans (âge moyen : 37 ans). Les répondant.e.s exercent différentes professions : elles et ils sont notamment sage-femmes, infirmier.ères, médecins généralistes, psychologues…
Les réponses des participant.e.s (dont 91% de femmes) peignent un sombre tableau de la situation : 71% des professionnelles de santé subissent ou ont subi d’une manière répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle durant leur formation et/ou l’exercice de leur métier. 59% d’entre elles ont déjà subi de manière répétée des blagues sexistes, 29% ont été appelées par des surnoms inappropriés, et 23% ont subi, à plusieurs reprises, des contacts physiques non-désirés (main sur l’épaule, dans le dos, dans les cheveux, …). 64% des répondantes ont subi de tels contacts physiques non-désirés au moins une fois et 88% des répondantes ont subi des blagues sexistes au moins une fois. Dans la plupart des cas (68%), ces propos, comportements ou actes ont été le fait de collègues médecins.
L’enquête a permis de recueillir les témoignages suivants :
“Femme c’est sûr, mais sage je ne suis pas certain ! Tu veux bien me le montrer.” Propos tenus à une médecin par un collègue médecin.
“Ah mais c’est qu’elle sait poser les perfusions la petite sage-femme. Tu sais moi aussi j’ai de quoi piquer” Propos tenus à une sage-femme par un collègue anesthésiste et accompagnés de “caresses” sur les épaules.
“Je ne m’attendais pas à ce que vous sachiez répondre à cette question, mais en fait vous en avez dans le cerveau l’air de rien.” Propos tenus par un professeur de gynécologie à une de ses étudiantes lors d’un oral.
“Le médecin directeur de l’école avait l’habitude de nous appeler ses « petites agnelles » ; un obstétricien nous répétait qu’il fallait être obsédée de sexe pour faire le métier de sage-femme ; un responsable de recrutement exigeait des rapports sexuels avant d’examiner le dossier d’embauche ; un médecin chef de la maternité d’un CH interdisait au personnel féminin de porter des pantalons.”, a témoigné une sage-femme.
Environ la moitié (47%) des répondant.e.s qui ont déclaré subir des propos et/ou comportements à connotation sexuelle a également déclaré subir ces actes par des soigné.e.s ou la famille des soigné.e.s.
« Certains patients ne vous prennent pas au sérieux car vous êtes une jeune femme, [et tiennent des] propos déplacés [tels que] : “Vous êtes la plus belle médecin que j’ai eu. Mais le pire et de loin en tant qu’étudiante dans les services de chirurgie [ce sont les] blagues salaces quotidiennes, mains déplacées ». Témoignages d’une médecine spécialiste.
Les propos et actes sexistes commis dans le milieu médical ne s’exercent pas seulement à l’encontre de professionnelles. 43% des répondant.e.s ont déclaré avoir été témoin de propos ou comportements à connotation sexuelle exercés par des professionnels de santé à l’encontre de soigné.e.s. De même, 84% des participant.e.s à l’étude ont été témoins de situations où la pudeur des patient.e.s n’était pas respectée.
Prise en charge des victimes de violences
74% des répondant.e.s ont déclaré avoir identifié au moins une fois au cours d’une consultation une fille et/ou une femme soignée victime de violences (physiques, sexuelles, psychologiques, …) dans le cadre de l’exercice de leur profession. Dans 77% des cas, cette identification a abouti à une orientation de la victime vers des associations de lutte contre les violences masculines. Environ un tiers (34%) des répondant.e.s ont déclaré demander systématiquement aux personnes soignées si elles avaient déjà été victimes de violences, mais seulement 1 participant.e sur 5 (20%) pense être tout à fait formé.e pour repérer les femmes et les enfants victimes de violences. Dans le second questionnaire sur la prise en charge médicale des filles et des femmes d’Osez le féminisme !, seulement 16% des répondantes avaient déclaré avoir déjà été interrogées sur les violences subies au cours de leur vie.
Concernant les formations sur l’identification et l’orientation des victimes de violences, presque un tiers (31%) des personnes interrogées ont déclaré avoir déjà eu l’occasion de se former à ce propos, mais 86% d’entre elles expriment le souhait d’y être (davantage) formé.e.
« Nous avons parlé de la situation en équipe avec l’accord de la patiente et fait des démarches avec l’assistante sociale pour évaluer la pertinence d’un signalement. Nous écrivons sur ces thèmes là dans le dossier de la patiente sur des fiches d’information non communicables pour assurer la protection de la patiente. Nous n’avons jamais fait de signalement suite à nos évaluations mais nous avons toujours mis en place un suivi par une association, psychologue, et nous revoyons ou restons disponibles au téléphone pour les patientes », a témoigné une ergothérapeute sur la démarche entreprise suite à l’identification d’une victime de violence.
Relation soignant.e-soigné.e
Moins de la moitié (45%) des personnes interrogées pensent qu’elles étaient tout à fait formées à recueillir le consentement des soigné.e.s pour les actes médicaux, ou à fournir les explications nécessaires pour que ce consentement soit éclairé (49%). En effet, selon l’enquête sur la prise en charge médicale des filles et des femmes, plus de 80% des répondantes ont déclaré que leur consentement n’était pas systématiquement demandé avant un acte médical.
L’importance de bien expliquer les actes et recueillir le consentement a pourtant été soulignée par plusieurs répondant.e.s, et elles.ils ont aussi souligné l’importance de l’empathie, de la bienveillance et de l’écoute.
« Toujours demander aux patientes de me dire à quel moment elles sont prêtes pour recevoir un toucher vaginal (elles sont souvent étonnées que je leur demande). Expliquer les examens nécessaires et recommandés (mais non obligatoires), discuter avec la patiente, accepter si elle refuse. C’est-à-dire les envisager comme des partenaires dans leur parcours de soin, et surtout la personne qui va prendre la décision au final ». Voici les recommandations formulées par une sage-femme.
« Mes objectifs de « bonnes pratiques » restent toujours la bienveillance, l’empathie et l’écoute. La formation tout au long de sa carrière reste primordiale afin de mettre à jour ses pratiques, sortir de son quotidien, prendre du recul, rencontrer d’autres professionnels.lles, s’ouvrir à de nouvelles pratiques », a témoigné une infirmière exerçant dans une PMI.
Nos résultats suggèrent l’existence d’importantes lacunes dans le dépistage des victimes des violences masculines dans le domaine de la santé et dans les connaissances des professionnel.le.s de santé quant à la façon de repérer et orienter ces victimes.
Comme dans la pluparts des enquêtes dont les réponses sont basées sur le volontariat, notre échantillon n’est probablement pas représentatif de tou.te.s les professionnel.le.s de santé. De ce fait, il est possible que nos résultats ont sous-représentés certains problèmes, spécialement chez les professionnel.le.s de santé plus âgé.e.s (la moitié des répondant.e.s ont moins de 33 ans). Par contre, les résultats de notre enquête rejoignent d’autres rapports qui dénoncent le sexisme prévalent dans le milieu de la santé. Cette dénonciation s’est aussi manifestée sur les réseaux sociaux notamment avec le hashtag #PayeTaBlouse.
Plus d’efforts et de ressources doivent être consacré.es pour combattre le sexisme dans tous les domaines de la sphère publique et privée, y compris dans le milieu de la santé. Le personnel médical devrait notamment être sensibilisé et formé à identifier, orienter et accompagner les victimes de violences sexistes commises dans le domaine de la santé.
Un grand merci à toutes les personnes, soignant.e.s et soigné.e.s qui ont participé à cette étude en répondant à nos questionnaires !
Pour accéder aux résultats de l’enquête à destination des soignées : cliquer ici