« Ne m’accouche pas, j’aimerais m’en charger ! »
« J’avais l’impression que mon vagin était un hall de gare ». Tel est le ressenti de nombreuses femmes en salle d’accouchement, et notamment de Diane qu’Osez le féminisme ! a interrogée pour son podcast sur la gynécologie.
Gestes intrusifs non-consentis, interventions incessantes sur les corps des femmes, allers-retours à répétition dans la salle de travail ; le personnel médical se comporte trop souvent comme si les femmes étaient des objets inertes pouvant être manipulés sans considération. Par paternalisme et par mépris pour elles, la plupart des décisions sont prises sans que les soignées ne soient consultées, comme si elles n’étaient pas capables de prendre de sages décisions pour leur bébé et pour elles-mêmes.
Les femmes sont morcelées pour être rendues dociles durant l’accouchement. Leurs corps sont en grande partie méprisés, considérés comme désordonnés. Les ressentis des femmes sont disqualifiés, les données transmises par les outils technologiques remplacent leurs sensations pour les professionnel.le.s de santé, en retraçant à leur place l’intensité de leurs contractions. Entre les déclenchements surprises, c’est-à-dire sans accord de la principale intéressée et l’ocytocine souvent injectée pour accélérer l’accouchement sans que la soignée en ait conscience, de nombreuses techniques médicales peuvent être utilisées pour désapproprier les femmes de leurs corps, leur faire perdre la maîtrise du cours de leur accouchement, et les faire entrer dans des spirales d’interventions en cascade. L’ocytocine provoque par exemple de violentes contractions, qui rendent souvent nécessaire la pose d’une péridurale, qui tend elle-même à ralentir l’accouchement et donc à nécessiter l’utilisation de forceps. [1] Sans explication fournie sur les avantages et inconvénients des actes médicaux réalisés, les femmes se retrouvent livrées au personnel médical, sommées de s’abandonner à eux, « pour le bien de leur enfant » dont l’intérêt est régulièrement présenté comme antagoniste à celui de la mère, comme s’il s’agissait de le faire sortir à tout prix d’un corps féminin jugé dangereux et imprévisible.
L’accouchement tel qu’il est pratiqué en France a alors ceci de violent qu’il fait fi de la dimension émotionnelle qu’il revêt, que l’empathie attendue de la part du personnel médical brille par son absence, et que les femmes sont découpées en parties indépendantes d’un tout dont le personnel médical ne semble pas se soucier. C’est d’ailleurs ce qu’illustre tristement l’épisiotomie, pratique très régulière qui vise à faire une section du périnée, le plus souvent sans même en informer la femme concernée. Les médecins s’imaginent ainsi être là pour faire naître l’enfant plutôt que pour accompagner les femmes à donner la vie, et se substituent trop souvent aux mécanismes physiologiques du corps des femmes alors que 80% des grossesses sont dites “normales”, c’est-à-dire non risquées. La possibilité qu’une femme soit capable d’accoucher par elle-même n’est jamais considérée, et tout est fait pour encadrer autant que possible l’accouchement, comme s’il pouvait déraper et devenir incontrôlable (pour qui, d’ailleurs ?) à tout moment.
Nulle surprise alors de constater l’absence de recherche de consentement des femmes en salle de travail et l’absence d’informations délivrées. 85% des épisiotomies sont ainsi réalisées sans demander aux femmes leur consentement, et 29% sont réalisées sans donner aux femmes d’informations sur celles-ci et sur sa cicatrisation (pourtant très souvent douloureuse). [2] Quant au déclenchement de l’accouchement, il est décidé sans la soignée dans ⅓ des cas. [3] Les soignées, sous péridurale dans 81,4% des accouchements, sont peu informées du fait qu’une épisiotomie est réalisée. [4] Puisque la femme ne sent rien, pourquoi lui demander son avis pour la découper ? Ces pratiques relèvent à la fois d’une violation évidente du droit à la libre disposition de son corps, notamment en termes de droits sexuels et reproductifs – l’épisiotomie effectuée sans nécessité médicale pouvant alors être associée à une mutilation génitale –, en même temps qu’elles accroissent la vulnérabilité des femmes, puisque chaque geste médical en entraîne trop souvent un nouveau, sans que les femmes n’en soient prévenues.
Ces décisions ne sont d’ailleurs pas toujours médicalement justifiées, comme en atteste la littérature scientifique qui alerte depuis 30 ans sur les conséquences négatives des épisiotomies dites “de routine”. [5,6,7] Qu’une telle pratique soit réalisée à des niveaux anormalement élevés par rapport aux recommandations médicales et à certains exemples d’hôpitaux français ou étrangers [8] ; cela montre que l’argument selon laquelle il s’agirait de protéger la femme et son enfant est une imposture. Ce qui est en jeu est davantage le contrôle de l’accouchement, le pouvoir sur la soignée, la paresse intellectuelle de remettre en cause ses pratiques, et l’absence de discernement quant à la misogynie de la gynécologie obstétrique.
Ce dédain à l’égard des femmes est permis par le morcellement de leurs corps, par l’objectification et la décomposition d’un corps en parties, au détriment d’une vision d’ensemble de la soignée. Cela aboutit à désapproprier les femmes de leurs corps, c’est-à-dire d’elles-mêmes, que ce soit par la contrainte psychologique que représente le chantage au bien-être de leur enfant ou par le simple fait que les femmes se sentent alors incapables d’être actrices de leur accouchement, épuisées par la lourdeur des interventions médicales et le climat souvent très stressant des maternités. Le morcellement aboutit à dénigrer ce qui relèverait de l’”esprit” (en opposition au corps), ou pour le dire plus simplement dans le cas des femmes, à ce qui serait “dans leur tête”. La douleur est par exemple “dans leur tête”, comme si cela signifiait qu’elle n’existe pas. Ce découpage ne fait aucun sens si l’on se place du point de vue des femmes et de leurs intérêts : la séparation du corps et de l’esprit a beau être centrale dans le système de pensée occidental, il est impossible de tracer une ligne qui permettrait de séparer les deux chez une personne. Les émotions ou les sentiments par exemple, supposés être “dans la tête”, ont un ancrage dans l’ensemble de chaque personne. La douleur ou le plaisir sont provoqués par des sensations ressenties à travers le corps : la peau, le système nerveux, le système hormonal…
Plus généralement, ce morcellement des femmes en petites parties de corps renvoie à la conception moderne de la science, et en particulier de la médecine qui est divisée en spécialités, ce qui empêche de considérer un.e soigné.e comme une personne à part entière dont le contexte social et la psychologie influencent les problèmes qui concernent le corps. Mais cette logique morcelante est encore plus présente dans la santé des femmes, comme en attestent les pratiques obstétriques précédemment décrites. Comment s’en étonner d’ailleurs quand dans la société dans son ensemble, les femmes sont sans cesse découpées, marchandisées, décomposées en morceaux (de jambe, de poitrine, de bouche, etc) souvent à des fins publicitaires ; toujours en violation totale de leur dignité. Cette violation est d’autant plus scandaleuse que d’autres approches se développent, considérant les femmes comme ce qu’elles sont : des sujets à part entière, dont le corps et l’esprit interagissent et forment un ensemble indissociable, et qui sont capables de prendre des décisions pendant leurs accouchements. Tous les jours, des sages-femmes aident des femmes à donner la vie dans des maisons de naissance, en les accompagnant avec bienveillance. En faire preuve ne coûte pas plus cher, ne prend pas plus de temps ; mais elle change tout pour la soignée et pour son enfant.
Références
[1] Ellice LIEBERMAN, Carol O’DONOGHUE, Unintended effects of epidural analgesia during labor: a systematic review, American Journal of Obstetrics and Gynecology, vol. 186, 5 Suppl Nature, 2002
[2] Collectif Interassociatif Autour de la Naissance (CIANE), Épisiotomie : Etat des lieux et vécu des femmes, 2013
[3] Collectif Interassociatif Autour de la Naissance (CIANE), Déclenchement et accélération du travail : information et consentement à revoir !, 2012
[4] Enquête nationale périnatale, Rapport 2016, INSERM et DREES, 2017.
[5] World Health Organization, Appropriate Technology for Birth, The Lancet, vol. 326, 1985
[6] Katherine HARTMANN, Meera VISWANATHAN, Rachel PALMIERI, Gerald GARTLEHNER, John THORP, Kathleen N. LOHR, Outcomes of Routine Episiotomy: A Systematic Review, JAMA, vol. 293, no 17, 2005
[7] Hong JIANG, Xu QIAN, Guillermo CARROLI, Paul GARNER, Selective versus routine use of episiotomy for vaginal birth, Cochrane Database of Systematic Reviews, 2017
[8] Laura Motet, Anne-Aël Durand, Episiotomie : pourquoi de tels écarts entre les maternités ?, Les Décodeurs, Le Monde, 2018